Les pervers narcissiques sont-ils devenus légion?

Quelle merveilleuse idée que de commencer par la conclusion: non, les pervers narcissiques ne sont pas légion, par contre il me semble évident que ce pléonasme (très agaçant au demeurant bordel sachez-le) est devenu comme bien d’autres termes, un abus de langage.

 

Une chiée d’articles sont disponibles sur des sites très grand public, et ceux que j’ai lus sont plutôt pertinents, mais il y a au moins deux caractéristiques qui ne peuvent être ignorées à leur sujet. La première est que ces sites emploient des personnes et doivent générer des revenus, en conséquence de quoi il faut glaner le maximum de trafic pour rentabiliser leur existence et user des stratagèmes les plus poncés pour ce faire. Pour n’en citer que quatre: un titre racoleur, une information tronquée pour créer du sensationnel, des généralités pour que le plus de gens possible se sentent concernés et si possible le-témoignage-de-Sonia, victime-d’un [ex-] mari-PN. Après avoir faire des recherches, la plupart des personnes qui ont écrit ces articles ne sont pas des professionnelles en psyché humaine et si c’est le cas, elles ne feront que ce qu’on leur demande sans approfondir. Ce que je comprends totalement.
Grâce à toutes ces personnes qui ont fait la moitié du travail sur lequel je babille aujourd’hui, je considère que vous savez de quoi il est question.

 

Une chose à prendre en compte immédiatement quand on reçoit quelqu’un qui vient d’être quitté, c’est son prisme émotionnel. Un phénomène de dramatisation très courant se produit durant les premières séances, surtout si les événements sont récents et que la personne est encore en train de patauger dans des émotions fortes et désordonnées. A ce stade, l’ex est dans la plupart des cas, décrit•e volontairement ou non comme un•e pervers•e narcissique puisqu’il/elle jouit clairement de nombre de comportements abjectes. Une fois le trop plein vidé, on accède enfin à un matériel plus fidèle à la réalité des événements ce qui écarte dans 99% des cas l’hypothèse que l’ex était PN ou manipulateur.
Se place ici le biais de conviction, de plus en plus fréquent ces deux dernières années, épine dans le pied du déroulé thérapeutique. La personne, convaincue que l’autre était PN, cherche plus ou moins subtilement à nous entrainer dans son discours. Heureusement c’est assez simple et rapide à statuer pour pouvoir reprendre une direction efficace car ce comportement est un précieux indicateur sur ce qui doit être travaillé chez la personne.

Et finalement, reste un indiscutable 1%. C’est peu et beaucoup trop. Je ne peux que citer Macron pour l’occasion: à ce stade “nous sommes en guerre”. Non pas contre les démons de la personne (une promenade de santé dans le contexte), mais bien contre le/la PN car s’il y a une chose a affirmer, c’est que personne ne croise la route d’un tel individu sans que sa vie ne devienne un enfer. Et ça va bien au-delà de votre ex qui vous casse les balls pour récupérer ses baskets ou la garde des gosses.

 

Je sais que ça ne fait pas plaisir à tout le monde de l’entendre mais nous avons toutes et tous des comportements potentiellement toxiques ou perçus comme tels par les autres. Nous avons nos façons de faire, nos particularités, nos valeurs, nos convictions, et nos subtilités dans notre aménagement (raisonnable) du bien et du mal, et les autres ont tout ça aussi, en différent. Factuellement, bien souvent, nous ne nous accorderons pas et nous ne nous comprendrons pas, ou pas sur tout. C’est bien moins embêtant que les difficultés que cela génère mais une certaine connaissance de notre Être, sans nécessiter une aliénation de notre personnalité ou de notre comportement peut nous aider à faire des choix judicieux dans notre existence. Après il est évident qu’avant ça nous apprenons comme les dignes humains que nous sommes, en faisant “des erreurs” comme diraient certains donc en nous frottant aux mauvaises personnes, mauvaises personnes POUR NOUS, car il n’existe pas plus de personnes toutes blanches que de personnes toutes noires et celles qui ne fonctionnent pas avec nous ne vont pas obligatoirement dysfonctionner avec d’autres.

 

Aujourd’hui, les pervers narcissiques sont considérés comme une catégorie largement répandue de prédateurs implacables et si bien embusqués que vous ne pourrez leur échapper. Limite c’est une malédiction, limite si ce ne sont pas des être surnaturels de malveillance. De mon point de vue je pense que le concept est ridiculement surcoté.
1. Ils ont effectivement une capacité d’emmerdement colossale, stratosphérique et sans limite. Et je pèse mes mots.
2. Nous sommes tous en capacité de dégager rapidement quelqu’un qui nous provoque volontairement des inconforts, et personne ni les pervers narcissiques ne pourront lutter contre ça (même s’ils peuvent potentiellement essayer très fort, cf 1).
3. Ils sont extrêmement rares.
Gardez-ça en tête.
Le terme pervers narcissique est également devenu un joyeux fourre-tout, on n’y met les personnes violentes physiquement, les patron•ne•s caractériel•les, les collègues bipolaires, les prédateurs sexuels et j’en passe. Clairement, faut arrêter de tout mélanger même si tout cela reste emmerdant, inacceptable et est parfois la résultante d’un trouble ou d’une maladie mentale.
Statistiquement parlant, les probabilités sont plus nombreuses de tomber sur:
– Une personne qui a un tableau valoriel différent et incompatible avec le notre
– Une personne avec ses propres troubles générant des comportements pathologiques mais non reliables à la perversion narcissique
– Une personne maladroite, narcissique ou encore égoïste voire même juste qui s’en branle et peut-être même tout ça à la fois.
La perversion narcissique n’est pas qu’un état de fait ni qu’un cumul de faits, c’est aussi et surtout une manière de faire.

 

Ce que l’on doit comprendre concernant les ruptures, c’est qu’il n’y a pas de bonne manière de rompre, et encore moins de bonne manière de se faire quitter, le bas blesse car la personne qui quitte le fait pour des raisons qui lui sont égoïstement bonnes ce qui n’est pas recevable pour statuer d’une perversion. Et le bas blesse encore plus car la personne quittée souffre, et qu’elle attend inconsciemment une réparation au moins partielle dans l’articulé de la rupture, mais je n’ai jamais eu vent d’une manière de rompre ayant cette propriété, ni personnellement, ni professionnellement.
Dans le monde des personnes équilibrées, on quitte parce qu’on [se] le doit, non par plaisir car on n’aime pas faire du mal aux gens, surtout pas à ceux qu’on a aimé. Chacun fait donc avec ses ressources et chacun aura sa tartine chiante à avaler pour différentes raisons, car quoi qu’on puisse penser: chacun son fardeau à s’occuper tôt ou tard.

 

C’est donc un panel d’éléments qui induisent les gens à penser ou se convaincre qu’ils ont été (et sont, du coup) victimes d’une personne PN, mais ces autres gens maladroits, narcissiques, égoïstes, manipulateurs et pathos (que nous sommes tous à divers degrés), ne sont pas, dans la plus grande des majorités, des pervers narcissiques.
A t-on réellement besoin d’un élément de cet ordre pour appuyer le fait qu’on est [déjà] en train de gérer quelque chose de difficile? A quoi sert cet écran de fumée dramatisant si ce n’est à maintenir un lien déjà détruit et à éviter les vraies choses à réfléchir.
Quand on connait les conséquences, gravissimes, du passage d’un pervers narcissique dans la vie d’un individu, on peut considérer que c’est une chance d’avoir un espace de tranquillité pour se reconstruire même si, la situation n’en reste pas moins compliquée et douloureuse.

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