A propos de Freud

Depuis le temps que je veux faire ce post il a fallu que je me décide au pire des meilleures moments d’une période extrêmement intense de travail pour retourner ma bibliothèque afin de trouver et relire, les bons ouvrages pour documenter au mieux et au plus près le sujet d’aujourd’hui: Freud, a t’il vraiment dit que l’Enfant voulait copuler avec sa mère/son père?

“La psychanalyse accorde, comme on sait, une très grande importance à la sexualité dans le développement et la vie psychique de l’être humain. Mais cette thèse ne se comprend que si on mesure la transformation qui a été rapportée du même coup à la notion de sexualité dans l’appréhension psychanalytique de l’homme […] Si l’on part de la vue commune qui définit la sexualité comme un instinct, c’est à dire comme un comportement préformé, caractéristique de l’espèce, avec un objet (partenaire du sexe opposé) et un but (union des organes génitaux dans le coït) relativement fixes, on s’aperçoit qu’elle ne rend compte que très imparfaitement des faits fournis tant par l’observation directe que par l’analyse.”
Vocabulaire de la psychanalyse – J. Laplanche et JB Pontalis (1967)

J’ai entendu ça pour la première fois en amphi, durant ma quatrième année d’étude, suite à la sortie d’un énième brûlot pointant du doigt Freud pour ses théories à la con.
Après 4 années d’études en psychanalyse à bouffer du Freud et assimilés TOUS LES JOURS, ce point m’avait donc totalement échappé? Incroyable Marie-Micheline! J’en étais arrivée là, sans rien biter ni au complexe d’Œdipe ni à la théorie sexuelle! Heureusement qu’il me restait trois ans pour tout reprendre LOL.
Cette idée, comme quoi Freud-a-dit-que…, a fait beaucoup rire, réaction que j’observais de loin, ne me considérant pas le moins du monde légitime pour avoir un quelconque avis analytique sur l’auteur de ce raccourci vulgaire. Avec du recul, quelques années plus tard et aussi quelques années de pratique et d’application de la psychanalyse, je ris de ce souvenir mais suis également embarrassée.
Appréhender la lecture d’un livre de Freud ou de n’importe quel ouvrage de psychanalyse nécessite un ajustement de l’usage du vocabulaire tel que nous le connaissons. Effectivement, en psychanalyse certains termes n’ont ni le même sens ni la même portée que dans le langage courant. Néanmoins, ces ouvrages ne sont pas réservés à des initiés, car quasi tout le temps, les auteurs prennent le temps d’expliquer comment ils utilisent un terme et quelles subtilités éventuelles ils lui donnent afin de se rendre abordables par le plus grand nombre.
En ce sens pour lire et comprendre un bouquin de psychanalyse pour ce qu’il est et pour saisir correctement le sens de son matériel, il faut effectuer une certaine gymnastique intellectuelle pour tout remettre en ordre. Effort de lecture qui devra être revisité pour chaque auteur car si tous utilisent plus ou moins les mêmes termes, leurs subtilités sont susceptibles de varier. Tu vois le délire? Maintenant tu comprendras certainement mieux pourquoi les étudiants en psycho trimbalent le même bouquin six mois durant.
Du coup ça m’étonne moyennement que certaines personnes, aient pu lire des brides de Freud ou je ne sais qui d’autre, en pensant avoir lu quelque chose alors qu’elles sont à côté de la plaque, et qu’elles doivent en écrire un livre pour liquider l’indignation qui les anime. Seulement, il devient fatigant à la longue de lire les mêmes inepties, d’autant plus que je n’ai pas l’impression que quelqu’un prenne la parole là dessus.

Qu’est ce que la sexualité pour Freud?

En psychanalyse, la sexualité est un terme généraliste qui désigne la recherche du plaisir au sens large, ce qui est bien différent de la définition usuelle où “sexualité” ne définit que ce qui a un rapport avec la reproduction, ses comportements, et les organes reproducteurs.
Voilà pourquoi tout est relié à la sexualité dans le travail de Freud puisque le psychisme, est câblé sur la recherche de plaisir et l’évitement du déplaisir.
… Si ce n’était pas déjà le cas, c’est ici que vous prenez conscience que vous êtes en train de lire un pamphlet chiant et peu vendeur, mais la Direction ne s’en excusera jamais.

“Peut-être me fera t-on l’objection que tout cela n’est pas de la sexualité. J’emploie le mot dans un sens beaucoup plus large que l’usage ne le réclame, soit. Mais la question est de savoir si ce n’est pas l’usage qui l’emploie dans un sens beaucoup trop étroit, en le limitant au domaine de la reproduction. […] le psychanalyste prend le mot de sexualité dans une acceptation totale, à laquelle il a été conduit par la constatation de la sexualité infantile.”
Cinq leçons sur la psychanalyse – Freud (1909 & 1924)

Quand il s’agit de la sexualité infantile, le terme ne désigne en aucun cas une hypothétique sexualité génitale et reproductive, telle que nous pouvons la pratiquer à l’âge adulte. Et si vous vous demandez pourquoi (on sait jamais hein), c’est parce qu’un jeune enfant n’a pas les connaissances, ni les capacités intellectuelles, psychiques et physiques, de conceptualiser et encore moins d’acter cette sexualité génitale d’adulte. En d’autres termes, un rapport sexuel. Et Freud, tout comme nous tous, le savait. Donc au lieu d’employer l’expression “sexualité infantile”, on pourrait tout aussi bien dire “recherche de plaisir dans le développement de l’enfant”.

“Il est instructif de constater que l’enfant, sous l’influence de la séduction, peut devenir pervers polymorphe et être poussé à toutes les transgressions possibles. Cela montre qu’il porte dans sa prédisposition les aptitudes requises; la réalisation de ces transgressions rencontre, de ce fait, de faibles résistances, car les digues psychiques contre les excès sexuels – la pudeur, le dégout et la morale – ne sont, selon son âge, pas encore édifiées ou juste en passe de l’être.”
Trois essais sur la théorie sexuelle, Disposition perverse polymorphe – Freud (1905 – Version définitive de 1920)

Avant d’aller plus loin, veillez à vous détacher de la notion sociétale de jugement dans le terme perversion, qui en psychanalyse, désigne factuellement l’investissement d’une partie du corps autre que les parties génitales, dans l’objectif de se procurer du plaisir. Même si, ce n’est pas nécessairement le plaisir génital qui est recherché. Oui je sais que c’est tortueux, c’est pas pour rien qu’on passe 7 ans à essayer de tout comprendre correctement, mais je vous jure que quand on y arrive, tout coule de source.

 

L’enfant, dans l’innocence qui le caractérise, peut tout aussi bien s’attarder sur ses parties génitales, comme il peut jouer avec ses pieds ou encore mettre ses doigts dans sa bouche, pour 1000 raisons. Mais s’il le fait, c’est parce que toutes parties du corps confondues, ça lui est agréable, ça lui fait du bien. Si ça n’interpelle personne qu’un enfant suce son pouce, ce qui pose souvent souci chez les adultes qui constatent qu’un enfant explore ses parties génitales, c’est leurs propres filtres. Filtres qu’il faut laisser de côté pour appréhender ce qui se joue chez l’enfant (qui lui n’a pas de filtre), c’est à dire: pas plus qu’une découverte, proche du non-événement, suite à laquelle l’adulte devra malgré tout lui transmettre un cadre neutre et bienveillant.

“Nous avons posé le concept de libido comme une énergie quantitativement modifiable à l’aide de laquelle on pourra mesurer des processus et des conversions dans le domaine de l’excitation sexuelle. […] L’analyse des perversions et des psychonévroses nous a permis de découvrir que cette excitation sexuelle n’est pas fournie uniquement par ce que l’on appelle les parties génitales, mais par tous les organes du corps.”
Trois essais sur la théorie sexuelle, La théorie de la libido – Freud (1905 – Version définitive de 1920)

Afin de lever le voile sur le sens du terme libido, qui encore une fois, n’est pas employé de la même manière qu’on peut le faire dans le langage courant:
“Libido est une expression empruntée à la théorie de l’affectivité. Nous appelons ainsi l’énergie, considérée comme une grandeur quantitative – quoiqu’elle ne soit actuellement pas mesurable – de ces pulsions qui ont à faire avec tout ce que l’on peut comprendre sous le nom d’amour”
– Psychologie des masses et analyse du moi – Freud (1921)

 

En gros, tout le monde aura compris ou découvert que la psychanalyse possède un vocabulaire qui lui est propre, comme tant d’autres domaines. Ce qui heurte la sensibilité des gens, c’est qu’ils pensent que ça touche à leur sexualité et on le sait, la sexualité est un sujet encore très problématique aujourd’hui chez beaucoup. On conviendra par exemple, qu’on s’indigne beaucoup moins quand on plante les sardines de la tente, certainement car le camping étant une activité plutôt populaire, tout le monde sait qu’on n’enterre pas des poissons pour éviter que la Quechua ne parte à l’aventure avec son ami Mistral.
Imaginons maintenant, pour rigoler, que le camping soit une activité peu répandue, que la plupart des gens ne connaissent le camping que par des détails et des ouï-dire. Et imaginons que cette histoire de sardines pop auprès de personnes qui n’y connaissent rien. Certaines vont chercher à savoir ce que sont les dites sardines parce qu’il est peu probable qu’on fixe une tente avec des poissons, d’autres vont s’en foutre vu qu’elles sont pas concernées, et les réactionnaires vont s’insurger parce que les campeurs maltraitent des poissons. Maintenant mettez-vous à la place des campeurs avec leurs piquets quand on les accuse de torturer des clupéidés… Mettez-vous bien en situation s’il vous plait… Voilà…. Très bien… Voici l’allégorie parfaite de l’effet que ça fait quand t’es psychanalyste et qu’on te dit que Freud à dit que les mère veulent pécho leur fils et la fille veut pécho le père blablabla. Je suis bon public (c’est faux) je ris de ma connerie comme de celle des autres (ça c’est vrai), mais cette vieille blaguounette est malaisante à la longue.

L’inceste dans l’œuvre de Freud

Maintenant que vous avez une base lexicale certes incomplète mais suffisante, vous êtes parfaitement capables d’appréhender ce qui va suivre.
Allez, installez-vous encore un peu plus confortablement ça va bien se passer.

“Le rapport de l’enfant avec la personne qui s’occupe de lui est pour celui-ci une source constante d’excitation sexuelle et de satisfaction depuis les zones érogènes, d’autant plus que sur ce point cette personne – en règle générale, tout de même, la mère – destine à l’enfant des sentiments qui proviennent de sa vie sexuelle à elle, le caresse, embrasse, berce, et le prend très clairement comme substitut pour un objet sexuel à part entière”
Trois essais sur la théorie sexuelle, Objet sexuel de la période du nourrisson – Freud (1905 – Version définitive de 1920)

J’avoue que sortie de son contexte et en ignorant tous les éléments de compréhension que je me suis faite chier à rassembler ici, on pourrait se demander si Freud n’est pas en train de nous dire que la mère prend son enfant pour un godemichet.
Mais non, la sexualité n’étant pas définie de la même manière chez Freud, ce qu’il dit, c’est simplement qu’au travers du plaisir qu’elle prend à s’occuper de son enfant, de l’amour qu’elle lui donne et des soins qu’elle lui apporte, elle transmet ce que sa propre mère lui a transmit à elle: la capacité d’être bien et d’y prendre du plaisir, et la capacité d’aimer et d’y prendre du plaisir, ce qui est par extension pour Freud et d’autres, une base indispensable pour la survie de l’espèce.
Et sans m’attarder sur le sujet car je pense que vous avez saisi le principe, ce qui va dans un sens va dans l’autre, Freud ne dit pas non plus que l’enfant souhaite un acte sexuel génital avec un de ses parents. Ni en période Œdipienne, ni après.
Quand on a toute la compréhension de ces propos, c’est finalement assez simple et logique puisque observable. Mais Freud le dit en ses termes, et ces derniers sont proprement incompréhensibles pour les personnes qui ne souhaitent/cherchent pas, à comprendre les théories psychanalytiques derrière leur vocabulaire trompeur (et c’est peu dire, je sais).

Ah ben merde, il n’y a pas de sujet en fait?

Disons que le dit sujet n’est pas où l’on voudrait qu’il soit.
De nombreux et nombreuses psy/médecins ont validé et observé la théorie de la sexualité infantile de Freud, certain•e•s l’ont même enrichie, d’autres sont encore allé•e•s plus loin, ce n’est pas un vicelard isolé comme beaucoup le prétendent. D’ailleurs, si on ne s’attardait pas tant sur une mésinterprétation de son travail et si on voulait le tacler pour de vraies raisons, on pourrait par exemple mentionner le fait que ce soit un misogyne déplorable. A côté de ça, Freud était un homme de son temps, qui a observé son époque avec ses us et coutumes. Beaucoup de choses ont évolué depuis, tout comme la psychanalyse, même s’il en reste le père fondateur et que son travail demeure fabuleux.
Et Freud est mort.
Le sujet, c’est que comme souvent, l’humain est une feignasse poly-névrotique qui s’emmerde profondément dans cet ère moderne. Voilà pourquoi toute occasion est bonne à prendre pour se distraire, dont celle de gober et disperser des informations partielles et fausses.

En conclusion

La psychanalyse n’est peut-être pas une science mais elle est encore moins une religion. J’aimerais appuyer sur le fait que je ne fais pas part ici d’une interprétation personnelle, mais d’une tentative de vulgarisation.
Tout à chacun est à même de comprendre une théorie psychanalytique dès lors qu’il se donne la peine de le faire, en commençant donc, par prendre connaissance du sens des termes employés. Les auteur•e•s précisent et expliquent toujours leurs “abus de langage”. Mieux, il y a même un dictionnaire spécifique qui prend la peine de répertorier toutes les manières d’approcher les termes et points clés. Il est donc impossible de faire diverses interprétations.
La psychanalyse n’est pas un sujet fondamental à maitriser dans sa vie pour pouvoir jouir de son existence et ce n’est donc pas grave de ne pas connaitre et comprendre les grands concepts psychanalytiques mais: ne faites pas des putains de phrases sur les sardines si vous n’avez jamais fait de camping.

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